Outre les difficultés et les enjeux habituels de toute traduction, la traduction juridique exige du traducteur une très grande attention et des profondes connaissances sur les systèmes juridiques des pays de la langue source et de la langue cible, puisqu’il s’agit d’une traduction de spécialité concernant une branche du savoir, le droit, dont le langage n’est pas universel, contrairement à ce qui se passe, par exemple, avec les termes de l’informatique ou de l’architecture, qui veulent dire la même chose dans toutes les langues. C’est pourquoi, le risque de succomber aux faux-amis se montre ici très probable.
Quand on envisage une traduction juridique de l’espagnol vers le français (ou vice-versa), les ressemblances entre les langues et les systèmes juridiques ne doivent pas nous faire être pris au piège. Par exemple, si en traduisant un testament espagnol on trouve le mot reserva, un traducteur Français spécialiste connaissant le droit français mais dont la for-mation en droit espagnol n’existe pas, sera mené à traduire ce mot comme réserve. Or, la réserve héréditaire en droit français n’est pas du tout semblable à la reserva, bien au con-traire : elle correspond à la legítima du droit espagnol. Voici, donc, un exemple de faux-ami.
En effet, la définition de Cornu de la réserve héréditaire est la suivante : « portion de succession réservée par la loi à certains héritiers (réservataires) en ce que, par opposition à la quotité disponible, elle ne peut, à peine de réduction, être entamée par des libéralités que le défunt aurait consenties au détriment des réservataires ».
Voyons maintenant la définition que le très utile et récemment paru Diccionario del español jurídico (désormais, DEJ) nous donne de la legítima : « parte de la herencia sobre la que tienen derecho determinados herederos, designados por la ley, sobre la que no tiene el testador libertad de disposición ».
Alors, c’est quoi, la reserva que notre traducteur vient de trouver dans son document à traduire ?
Nous retournons sur le DEJ pour trouver la définition :
« Reserva hereditaria. Limitación de origen legal a la libertad del testador, que deter-mina el destino que han de seguir determinados bienes que integran el caudal relicto, asegu-rando que sean adquiridos por miembros de la familia de la que proceden ».
Il ne s’agit plus de protéger le futur de certaines personnes, mais de conserver dans la famille, dans la même souche ou ligne familiale (d’où reserva troncal) certains biens.
Pour pouvoir parvenir à traduire correctement la reserva troncal que notre traduc-teur a trouvé sur le document, dans l’espèce, un testament, il est nécessaire de réaliser un travail de compréhension et de recherche.
Que veut dire troncal ?
Nous retournons sur le DEJ pour trouver une définition.
« Bien troncal. Bien perteneciente a una misma familia a lo largo de generaciones y sometido a un régimen especial de transmisión por herencia. Procede de uno de los troncos familiares, masculino o femenino ».
Cette définition nous apprend qu’il s’agit d’un bien provenant d’une souche et qui est transmis soit par ligne paternelle, soit par ligne maternelle, successivement. Elle nous apprend aussi que le régime de transmission successorale vise à la conservation du bien dans la même ligne familiale.
C’est pourquoi le code civil espagnol contient un article qui nous montre ce qu’il faut faire dans certains cas très rares pour conserver le bien dans la même ligne familiale.
« Artículo 811. El ascendiente que heredare de su descendiente bienes que éste hu-biese adquirido por título lucrativo de otro ascendiente, o de un hermano, se halla obligado a reservar los que hubiera adquirido por ministerio de la ley en favor de los parientes que estén dentro del tercer grado y pertenezcan a la línea de donde los bienes proceden ». (C’est moi qui souligne reservar et línea de donde los bienes proceden).
Existe-t-il en droit français quelque chose de semblable, qui puisse nous aider à trou-ver une traduction convenable pour reserva troncal ?
Oui : l’article 757-3 du code civil établit ce qui suit :
Par dérogation à l’article 757-2 [qui, à son tour, dispose qu’en absence d’enfants ou de descendants du défunt et de ses père et mère, le conjoint survivant recueille toute la succession], en cas de prédécès des père et mère, les biens que le défunt avait reçu de ses ascendants par succession ou donation et qui se retrouvent en nature dans la succession sont, en l’absence de descendants, dévolus pour moitié aux frères et sœurs du défunt ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l’origine de la transmission.
C’est un droit de retour à la famille d’origine des biens acquis par succession ou par donation qui appartenaient déjà à la famille du défunt.
Donc, après ce travail de compréhension et de recherche, le traducteur de notre exemple peut choisir l’expression « droit de retour » pour traduire « reserva troncal », puisque l’effet est le même : la permanence d’un bien acquis par succession ou par donation dans la même ligne familiale.
D’où la nécessité de formation pour réaliser correctement des traductions juridiques et pour éviter les faux-amis.
© José Antonio Ibáñez
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